Vendredi 05 septembre 2014

« La distribution des produits structurés en 2014 : conseil, transparence et indépendance »

INVESTANCE PARTNERS – The Year Ahead 2014 – Publié le 05 septembre 2014

Interview de Franck Magne

« Les Banques de Financement et d’Investissement sont au centre de l’actualité depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008. La conception et la distribution de produits structurés comptent parmi les activités les plus touchées par la crise : elles ont dû se réinventer.
Nous avons choisi d’interroger Franck Magne, associé fondateur de Eavest, cabinet de conseil en produits structurés, sur l’état du marché des produits structurés, ainsi que sur les évolutions en cours.

 

Comment décririez-vous l’évolution du marché des produits structurés depuis le déclenchement de la crise financière en 2008 ?
Il est possible de parler d’un « retour aux fondamentaux ».
Avant crise, la gamme des produits structurés se caractérisait par sa diversité et sa complexité. La crise a profondément restructuré le marché, qui n’a repris de l’ampleur qu’en 2010. Les acteurs du marché priorisaient alors des produits simples associés à des volumes réduits. Aujourd’hui, on retrouve à nouveau une grande diversité en termes de produits, pour des volumes encore limités par rapport à la situation d’avant crise. La logique commerciale à l’oeuvre repose désormais essentiellement sur des produits personnalisés ou « sur mesure », permettant de répondre aux besoins de la clientèle.

 

Peut-on considérer que la demande de produits structurés a repris de façon durable ?
Selon le site spécialisé Structuredretailproducts.com, le volume global des produits structurés sur le marché européen s’élève à 711 milliards d’euros à fin octobre 2013, contre 757 milliards pour l’année 2012 et 794 milliards pour l’année 2009. L’année 2013 devrait donc s’achever par une croissance en termes de volumes par rapport à 2012, mais il est toujours difficile d’estimer les volumes réalisés hors bourse par les différents intervenants sur ce marché.
Le niveau historiquement bas des taux d’intérêts crée des conditions favorables à la vente de produits structurés d’optimisation du rendement. Les émetteurs ont ainsi constaté une forte demande au deuxième et au troisième trimestre pour des notes structurées pariant sur deux actifs distincts comme les taux d’intérêts et les actions. Ces notes ont rencontré un vrai intérêt de la part des investisseurs parce qu’elles permettent de proposer des rendements plus élevés que si elles n’étaient indexées que sur un seul actif.

 

L’Association Suisse des Produits Structurés avait prévu que la part des produits structurés atteindrait 10% des portefeuilles clients. Qu’en est-il réellement ?
La proportion réelle est plus proche de 5%, ce qui est faible si l’on considère les avantages apportés par ces produits à leurs détenteurs. Dans un environnement boursier favorable, il serait tout à fait envisageable d’atteindre la barre des 10% mais il demeure encore difficile à ce jour de pronostiquer une date pour que ce niveau soit atteint. En contexte favorable, l’acheteur de produits structurés atteint rapidement ses objectifs de rendement. Cela l’incite, par conséquent, à acquérir d’autres produits du même type. De manière générale, il est possible de dire que les produits structurés sont à même de générer des rendements supérieurs à ceux des autres classes d’actifs. Ainsi, sur les deux dernières années, les investisseurs ont souvent perdu de l’argent avec des actions, mais en ont moins perdu avec les produits structurés.

 

La crise a-t-elle modifié la façon dont les produits structurés sont commercialisés ?
Dans plusieurs pays européens (Belgique, France, Danemark), les autorités de régulation ont tenté de limiter le niveau de complexité « tolérable » des produits structurés et d’en augmenter la transparence. Accusés pendant la crise d’être opaques et trop complexes, ils font désormais l’objet de toutes les attentions de la Commission Européenne. Cette dernière demande désormais aux différents acteurs du marché d’afficher clairement les caractéristiques des produits qu’ils distribuent et les risques associés, dans une logique d’information et de protection des clients.

 

Les clients sont-ils mieux protégés aujourd’hui qu’en 2008 ?

Oui et ils sont mieux informés. Les émetteurs ont fait des efforts considérables afin d’éduquer les investisseurs et présenter les produits structurés dans un langage simple. On constate une amélioration notable des supports marketing : les produits structurés y sont désormais décrits de façon concise, simple et transparente.

 

Certains acteurs bancaires se sont retirés de ce marché. Est-ce dû aux changements réglementaires ou bien à des décisions d’ordre stratégique ?

Il s’agit certainement d’une combinaison de ces deux raisons. La Directive « Prospectus » a ainsi contraint certains fournisseurs sans modèle économique réellement « scalable » à cesser leurs activités.
La crise de liquidité et la crise de la dette souveraine en zone euro ont eu des conséquences variables pour les banques présentes sur le marché des produits structurés. Certaines ont continué à investir dans leurs infrastructures tandis que d’autres ont décidé d’arrêter cette activité (comme par exemple le Crédit Agricole, Royal Bank of Scotland, Rabobank ou encore Macquarie Group).
Ces activités sont fortement consommatrices de capital. Il faut noter que le retour sur capital dépend d’une combinaison de facteurs : taux de pénétration sur le marché, valeur ajoutée apportée et qualité de la relation client. La situation est rapidement devenue intenable pour nombre d’acteurs.
Les banques qui restent sur le marché des produits structurés sont contraintes d’optimiser leurs coûts et d’améliorer leurs infrastructures pour répondre à la hausse des dépenses liées aux changements réglementaires.
La consolidation du secteur en cours est créatrice d’opportunités pour les acteurs existants mais la taille nécessaire pour être rentable devient de plus en plus importante.

 

Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée l’industrie des produits structurés ?
La réforme réglementaire constitue clairement le plus grand défi auquel sont confrontés les banques et les promoteurs de produits structurés. L’environnement de marché difficile en est un autre. Une faible volatilité, des taux bas ainsi que des corrélations minimes rendent difficile la mise en place de produits structurés intéressants. Restaurer ou conforter la confiance des clients constitue un autre défi pour le secteur des produits structurés. De nombreux efforts restent encore nécessaires, même si le secteur a beaucoup investi en termes de pédagogie client.

 

Quelles sont les réponses des Banques de Financement et d’Investissement à ces défis ?
Chaque banque a développé ou est sur le point de développer sa propre plateforme internet dédiée aux produits structurés. Ces outils jouent un rôle majeur en matière d’intensification de la concurrence et d’érosion des marges des émetteurs. La vitesse avec laquelle s’effectue la formation des prix est considérablement plus élevée que par le passé et se double d’une transparence renforcée. L’automatisation des produits (production, conception, commercialisation) constitue un atout majeur pour le secteur. Auparavant, les processus étaient essentiellement manuels, depuis les « termsheets » jusqu’aux documents commerciaux, de la construction des produits jusqu’à leur comptabilisation.
Avec de telles plateformes, il est désormais possible de créer des produits pour 50 K EUR et de les gérer en mode « Straight Through Processing » (STP). Le gain en matière d’efficacité est évident. Les acteurs du secteur devraient donc, à l’avenir, poursuivre leurs investissements dans ces plateformes, même si le besoin de produits non standardisés constitue une limite à l’automatisation totale et généralisée des processus. Il est à noter qu’aucune plateforme n’offre pour l’instant d’accès direct aux clients privés. Il est toutefois possible qu’un gérant de fortune ait accès au système, mais pas le client final. En matière d’ouverture, certaines banques, quant à elles, sont allées plus loin en développant des offres B2B articulées autour de leur plateforme.
Celle-ci est mise à disposition auprès d’autres banques afin qu’elles puissent réaliser, notamment, des opérations de trading.

 

Peut-on s’attendre à l’avenir à ce que chacun des émetteurs dispose de sa propre plateforme ouverte ?
Oui et pour aller plus loin, il est envisageable qu’une initiative commune à l’ensemble des acteurs se dégage tôt ou tard avec pour objectif de relier toutes ces plateformes et de créer une plateforme indépendante de recherche.

 

Face à de telles évolutions de marché et à de tels projets, les clients ne risquent-ils pas de rechercher un conseil indépendant en matière de produits structurés ?
Si et c’est une conséquence inattendue de la crise financière. Les Banques Privées et les gestionnaires de fortune ont compris qu’un conseil indépendant en matière de produits structurés est devenu indispensable. On a alors assisté à l’émergence d’un nouveau type d’intervenant, se positionnant entre les banques émettrices de produits structurés et leurs clients. Ces intervenants sont des sociétés de conseil régulées qui proposent d’analyser les produits existants émis par les banques, aident à construire les produits en fonction des objectifs de risque ou de rendement des clients et suivent proactivement l’évolution de ses produits. Les banques émettrices accompagnent
cette évolution en proposant des services tels que la prise en charge des aspects réglementaires liés à la distribution, voire des prestations de conseil en matière d’achat/vente des produits structurés à destination des clients finaux.
Franck Magne, fmagne@eavest.com

 

Rappel :
Les produits structurés se définissent comme des solutions de placement élaborées à partir de plusieurs instruments financiers émis par des acteurs bancaires.
Ils conjuguent un ou plusieurs actifs financiers tels que les actions, devises, taux d’intérêt…à une composante plus sophistiquée de type optionnelle.
Les produits structurés offrent une souplesse indéniable à l’investisseur. Selon la structure retenue, l’investisseur est à même de bénéficier de la hausse, de la stagnation ou même de la baisse d’un sous-jacent. Les produits structurés peuvent intégrer n’importe quelle classe d’actif (actions, taux d’intérêts, matières premières, FX…). La palette
des caractéristiques associées est modulable (objectif, sous-jacent, devise, maturité, risque, rendement,…).
Le produit structuré repose sur une promesse ferme de « prestation » auprès d’un l’investisseur. C’est une différence essentielle par rapport aux fonds de placement, dans lesquels le gestionnaire propose uniquement une prestation de service administratif sans garantie du succès de son service. »

 

INVESTANCE PARTNERS

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